Mon identité ?

Dernièrement, j’ai lu Amin Maalouf, Identités meutrières.

Amin Maalouf a écrit mon livre préféré de ces dernières années : Les désorientés (même si je lui en ai voulu au début pour la fin. Et puis plus… Ce livre m’habite tellement).

J’ai lu une grosse partie de sa fiction mais je n’avais pas eu encore le courage de me jeter dans ses essais.

Et puis, on m’a conseillé Identités meurtrières et on m’a dit que « non, ce ne serait pas déprimant ».

J’ai lu les premières pages et ça m’a happée, ça a résonné très fort chez moi. Ça sautillait partout dans ma tête, d’excitation, d’échos, de fourmillements d’idées.

La suite est aussi intéressante même si je réfléchis encore sur ce que j’adopte et ce qui me laisse sceptique. En tout cas, ça fait s’interroger et c’est aussi quelque part porteur d’un message d’espoir.

Mais je n’ai pas pour ambition ici de vous faire une critique ou un résumé de ce livre (si vous le lisez, j’adorerai en parler avec vous par contre !)

Non, aujourd’hui, je veux partager avec vous mes questions et ma réflexion sur l’identité qui ont tant résonné avec les premiers chapitres de ce livre.

Crédit photo (libre de droits) : MichaelGaida

Je vais donc partager des citations et les réflexions que ça m’a amenées. C’est parti !

Identité multiple

« Moitié français, donc, et moitié libanais ? Pas du tout ! L’identité ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnées. Je n’ai pas plusieurs identités, j’en ai une seule faite de tous les éléments qui l’ont façonnée, selon un ‘dosage’ particulier qui n’est jamais le même d’une personne à l’autre. »

Moi qui répète que mes enfants ne sont pas mi-français, mi-néerlandais mais complètement français et complètement néerlandais ; les nationalités et les cultures ne peuvent pas être mesurées en termes de pourcentage.

De plus, il est important de réaliser la dangerosité de ça : dire que la double nationalité fait que vous n’avez qu’une partie de nationalité(s) remet en cause votre légitimé pleine et entière !

« Parfois, lorsque j’ai fini d’expliquer, avec mille détails, pour quelles raisons précises je revendique pleinement l’ensemble de mes appartenances, quelqu’un s’approche de moi pour murmurer, la main sur mon épaule : « Vous avez eu raison de parler ainsi, mais au fin fond de vous-même, qu’est-ce que vous vous sentez ? » Cette interrogation insistante m’a longtemps fait sourire. Aujourd’hui, je n’en souris plus. C’est qu’elle me semble révélatrice d’une vision des hommes fort répandue et, à mes yeux, dangereuse. Lorsqu’on me demande ce que je suis « au fin fond de moi-même », cela suppose qu’il y a, « au fin fond » de chacun, une seule appartenance qui compte, sa « vérité profonde » en quelque sorte, son « essence », déterminée une fois pour toutes à la naissance et qui ne changera plus ; comme si le reste, tout le reste — sa trajectoire d’homme libre, ses convictions acquises, ses préférences, sa sensibilité propre, ses affinités, sa vie, en somme —, ne comptait pour rien. Et lorsqu’on incite nos contemporains à « affirmer leur identité » comme on le fait si souvent aujourd’hui, ce qu’on leur dit par là c’est qu’ils doivent retrouver au fond d’eux-mêmes cette prétendue appartenance fondamentale, qui est souvent religieuse ou nationale ou raciale ou ethnique, et la brandir fièrement à la face des autres. »

Le propos d’Amin Maalouf qu’il développe plus loin c’est que souvent quand une part de notre identité est menacée, on la met en avant et on en fait son identité profonde, première, parce qu’on y est amené. Et ainsi, il y a d’un côté « nous » et de l’autre « eux ». Et pour résumer très vite, on en fait des identités meurtrières. (Si vous voulez creuser, allez lire ce lire, vraiment !)

Les exemples donnés au début du livre et celui de la double nationalité dont je parle ici sont ceux qui appartiennent à des « cas particuliers ». Mais en fait, on n’a tous dans notre identité des morceaux qui nous rapprochent à tel ou tel groupe.

Si je prends l’exemple que je connais le mieux, le mien : suivant les groupes où je gravite, je pourrais être amenée à mettre en avant notre identité commune de nationalité (« oh tu es aussi français ? »), d’émigré (« tu es là depuis combien de temps ? »), de mère (« tu as combien d’enfants ? tu n’es pas trop fatiguée »), de féministe (« la culture du viol me met aussi en colère »), de trentenaire (« tu as dansé sur les Spice girls ? »), d’extravertie, de prof, d’aventurière, d’européenne, de chrétienne, de femme mariée, de blanche… Et tant d’autres encore qui me donne l’impression d’avoir en commun, d’appartenir à un groupe.

Identité complexe

« Mon identité c’est ce qui fait que je ne suis identique à aucune autre personne »

Mais c’est finalement la somme d’énormément de petites appartenances qui fait mon identité. Identité mouvante, identité que je suis amenée à redéfinir.

Quand j’ai décidé de quitter ma deuxième entreprise, d’arrêter d’être directrice de L’école de français mais aussi d’arrêter d’être prof de FLE, j’ai peu à peu réalisé à quel point moi et les autres avions intégré cette constance comme mon identité principale.

Non seulement j’étais connue comme le loup blanc comme directrice de ce centre de langue qui a gagné une très belle réputation ici mais en plus, je me définissais moi-même par là, c’était la première ligne sur mon compte Instagram, c’était souvent une des premières choses que je disais aux gens que je rencontrais… Il y a eu un flottement quand j’ai décidé de ne plus être ça. Mais alors que suis-je ?

Quelle étiquette me donnait une existence sociale, qu’est-ce que je pouvais brandir pour qu’on me connaisse et reconnaisse ?

« C’est justement cela qui caractérise l’identité de chacun : complexe, unique, irremplaçable, ne se confondant avec aucune autre. Si j’insiste à ce point, c’est à cause de cette habitude de pensée tellement épandue encore, et à mes yeux fort pernicieuse, d’après laquelle, pour affirmer son identité, on devrait simplement dire « je suis arabe », « je suis français », « je suis noir », « je suis serbe », « je suis musulman », « je suis juif »; celui qui aligne, comme je l’ai fait, ses multiples appartenances, est immédiatement accusé de vouloir « dissoudre » son identité dans une soupe informe où toutes les couleurs s’effaceraient. C’est pourtant l’inverse que je cherche à dire. Non pas que tous les humains sont pareils, mais que chacun est différent. »

C’est tellement humain d’essayer de mettre dans des cases. Nous avons besoin d’appréhender la complexité du monde en essayant de mettre de l’ordre dans le chaos (parce que sinon, c’est intellectuellement épuisant), c’est pour cela que c’est normal, facile, logique de mettre des étiquettes sur les gens pour simplifier notre rapport au monde. Mais ce n’est pas sans risque…

Identité mouvante à redéfinir régulièrement

« C’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard aussi qui peut les libérer. »

Voilà, cette citation, j’ai envie de l’encadrer dans mon hall d’entrée, de la taguer sur les murs des rues de toutes les villes du monde, de la porter en étendard.

Mais au delà de la question de la manière dont on regarde les autres, il y a d’abord la manière dont on se regarde soi dont on s’enferme ou on se libère.

Avant de s’intéresser à ce que sont les autres, on peut s’interroger sur la manière dont on se définit et à quel point ça nous nourrit ou nous emprisonne.

« L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence. »

Parfois, souvent même on ne réalise pas comment notre identité change, comment nos appartenances évoluent, se transforment, mutent. s’ajoutent… Et on s’enferme soi-même dans ce qu’on pense être. On se ferme tout un champ de possibles…

Et ce on m’englobe d’abord moi.

L’enseignement était tellement une vocation pour moi, quelque chose d’ancré, que c’était étrange de se dire que j’avais envie d’une autre direction.

J’ai clamé haut et fort (même en ligne) pendant des années que jamais je ne demanderai la nationalité néerlandaise car ça ne sert à rien, ça ne me définit pas… Et je vais en faire mon projet 2021. Pour des raisons pratiques et idéologiques mais aussi car j’ai évolué et cette culture qui me paraissait tellement pas moi est aussi devenue la mienne.

Tout cela me donne mille raisons d’écrire (et le sujet reviendra sans doute sur ce blog, sur mes posts RS – ça vous dit de suivre mon projet de demande de nationalité ?) et milles possibilités d’échanges. J’ai envie d’explorer et de partager sur mon identité complexe, unique, mouvante, vivante…

Je me demande d’ailleurs si je vais pas créer un atelier pour parler d’identité dans ce sens-là. Ça vous dirait d’écrire ensemble là-dessus ?

4 commentaires

  1. Oui pour l’atelier identité <3
    Bon tu sais à quel point je te rejoins sur cela, si bien écrit par Maalouf…

  2. Ton article est intéressant dans le sens où il ne me parle pas du tout.
    Je dis souvent que mon fils est moitié francais moitié suédois. Pour moi ca n’en fait pas un francais ou un suédois au rabais, c’est juste qu’il ne se sentira jamais vraiment francais (il n’y habite pas, aura des lacunes en histoire…) ni totalement suédois (notre facon de l’élever est totalement différente. ses habitudes gastronomiques. ses vacances… ne correspondent pas au modèle suédois). Malgré cela, il sera (comme ses parents), un citoyen à part entière de ses 2 pays. Mais son identité n’est ni entièrement suédoise ni entièrement francaise (je ne me risquerai pas à l’exprimer en terme de pourcentage, même si je me dis que ca dépasserai probablement les 100%).

    Pour le reste, je ne me suis jamais posée toutes tes questions. Je me suis sentie évoluer fortement dans le temps, en personnalité, centres d’intérêt, contexte familiale donc j’ai toujours su que mon identité ou ma façon d’être était évolutive. (La seule difficulté aujourd’hui consiste a être maman et à accepter que ca prenne le pas sur le reste pour quelques années.)
    Ca ne m’a jamais choqué ou surpris. Et j’applique ce même principe aux autres.

    1. Claire Schepers says:

      Merci de partager ta refléxion, c’est intéressant « pas entièrement… »
      Je la conçois mais du coup, je me pose la question de ce qui fait que tu es « entièrement », en fait. Est-ce que ça peut toujours s’additionner, ou y a des choses culturelles qui sont forcément de l’un ou de l’autre bord. Est-ce qu’il manque forcément des choses de notre culture/nationalité A quand on a une culture/nationalité B ? Je vais y réfléchir (pas pour obtenir une vérité mais pour nuancer ma perception si ça me parle – c’est typiquement le genre de débat où je ne crois pas qu’il y a une personne qui a vraiment raison au dépend des autres…)

      1. Honnêtement, tu m’as perdu avec ta réponse. 😀
        Je ne me sens pas entièrement suedoise et plus totalement française mais je me sens/suis entièrement moi !
        Je trouve que ma nationalité ne représente qu’une très petite partie de mon identité et je me questionne assez peu dessus. J’ai la nationalité française de naissance et souhaite la conserver. J’ai demandé la nationalité suédoise pour des questions pratiques et pour que mon fils l’obtienne aussi.

        Et oui, je pense que certains aspects francais manquent aux suedois (savoir se battre pour nous/faire la grève/ manifester, prendre le temps de manger en savourant et en discutant, être fier de sa culture…). Et inversement (la patience, l’organisation, l’absence de hiérarchie…).

        Je suis d’accord avec toi pour dire qu’il n’y a pas de vérité absolue. Ce sont des sentiments et des perceptions.

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