Je me demande souvent en ce moment ce que ça ferait de retomber enceinte de mon premier enfant en sachant tout ce que je sais maintenant.
Faire un troisième n’est pas dans les projets, et regretter n’est pas une tendance que je chéris. Du coup, je m’efforce d’utiliser ce que je sais pour accompagner d’autres.
C’est pour cela que j’écris cet article aujourd’hui.
La culpabilité
Pendant ma grossesse de mon deuxième enfant, j’ai été très très déprimée. Sans le soutien reçu, j’aurais pu sombrer.
En grave manque de sommeil, à forcer sur la corde tout du long, il y a eu un nombre incalculables de fois où pendant mes deux grossesses, j’ai craqué physiquement, moralement.
J’aurais aimé embrasser mes symptômes de grossesse, rendre hommage à la maternité qui commençait à vibrer en moi, célébrer la vie qui grandi, resplendir de bonheur…
Crédit photo (libre de droits) : egor105
Mais en général, je me sentais trahie par mon corps, dépassée par ce que je ressentais, mal.
Et il y avait un fond de culpabilité en prime.
« Ne pleure pas, ce n’est pas bon pour ton bébé »
La phrase qui n’aide pas. (Et fausse : dans les larmes, il y a de la cortisol, l’hormone du stress, en gros, quand on pleure, on permet de faire soupape de la tension, c’est donc bon pour le corps).
Les émotions, elles sont là. Le contrôle qu’on en a est très relatif. C’est comme tenter de remonter à contre-courant une rivière que de refuser de les accueillir. Et dans le cas d’une grossesse, c’est à la force de rapides de montagne que tombent souvent les émotions.
Ton bébé n’a pas besoin de ta conscience pour grandir
Pendant mes grossesses, j’ai travaillé jusqu’au bout, portant à bout de bras mon entreprise, cherchant à faire autant que d’habitude, ou au moins le plus possible. Je me croyais indispensable. Ou j’avais à cœur de montrer que j’étais forte, que la grossesse ne changeait pas grand chose.
Le résultat était mitigé. Oui, j’ai pu faire beaucoup. Mais aussi beaucoup d’erreurs. Et puis, je me suis mise en danger, physiquement, moralement.
Mais comme ce n’était pas assez, j’ai eu la culpabilité donc de ne pas penser assez à mon bébé, de ne pas me connecter avec lui la seconde fois. Avec l’ainée en plus et le fait que c’était une grossesse surprise.
Si je pouvais parler à cette Claire-là, je lui dirais ce que je dis aujourd’hui aux personnes enceintes avec qui j’échange dans le groupe d’exploration émotionnelle prénatale ou ailleurs : ton bébé n’a pas besoin de ta conscience pour grandir. Il n’a pas besoin que tu penses à lui, que tu lui parles, que tu fasses des projections et que tu prennes en photo ton ventre toutes les semaines.
Non, il est bien au chaud, il grandit indépendamment de ta volonté, de ta conscience. Ce n’est pas parce que tu n’arrives pas à l’imaginer, à lui parler, à lui donner du temps pendant la grossesse que tu seras une mauvaise mère, que tu ne l’aimeras pas.
Tu as ta propre temporalité. Ne te force pas à te connecter à ton bébé si tu ne le sens pas. Ça viendra en son temps. Ton bébé va bien sans cela.
Il y a déjà tellement à faire pour se reconnecter à toi-même, c’est le plus important… L’urgence, c’est toi, ton corps, ce que tu ressens !
Que se passe-t-il en nous lors d’une grossesse ?
Je parlais de rapides des montagnes qui emportent… C’est souvent comme cela que nous arrive les émotions de la grossesse.
Les recherches scientifiques parlent de vulnérabilité émotionnelle. On développe souvent une très grande sensibilité émotionnelle et des difficultés à cacher les manifestations.
Concrètement, ça veut dire… pleurer devant une pub. Éclater de rire pour un « prout » à une heure de fatigue. Ne pas supporter une remarque négative. Vouloir se couper du monde. Oublier son code de carte bleue. Éclater en sanglots ou de colère pour une broutille.
Ça et les changements psychiques, on ne se reconnait pas forcément. Et on n’a pas forcément envie d’être différente, d’être vulnérable… Alors, on peut mettre beaucoup d’énergie à aller à contre-courant.
Ces états sont dus aux changements de l’équilibre hormonal.
Pendant la grossesse, les hormones sont là pour faire maturer le fœtus, faire évoluer notre corps pour qu’il s’adapte au fur et à mesure.
Et cette vulnérabilité émotionnelle, elle prépare à l’accouchement, l’allaitement, soin de l’enfant.
En très schématique, quand on est plus sensible aux émotions primaires, qui passent, on est plus câblé avec son cerveau archaïque et le néocortex (celui qui nous permet d’appréhender et de résoudre des questions complexes) est mis sous silence. Ce n’est pas des plus pratiques dans la vie de tous les jours. Mais c’est ce que la nature a prévu pour préparer un accouchement physiologiquement et à s’occuper d un nouveau-né avec un bon niveau d’alerte (D. Winnicott parle de « préoccupation maternelle primaire » comme d’un « trouble psychique normal » qui nous permet de répondre aux besoins intensifs de notre enfant).
Enfin, les perturbations émotionnelles, c’est aussi dû à la conceptualisation de l’idée que quelque chose de très grand et de très spécial va se produire dans notre vie. Et cela nous ramène dans une fragilité parfois régressive (Si vous souhaitez creuser, M.Bydlowsky développe le concept de « transparence psychique pendant la grossesse »)
Que faire ?
Savoir que c’est normal. Ça aide.
Aujourd’hui, je sais qu’une femme enceinte sur 10 fait de la dépression prénatale. Que c’est dû à tous ces changements hormonaux, dans notre corps, dans notre manière de fonctionner. Je pense que ça m’aurait soulager de le savoir au moment où j’étais dedans. Et peut-être que j’aurais moins hésité à consulter un professionnel…
Prendre soin de son corps, de soi. Ce n’est pas de l’égoïsme. Si le bébé n’a pas besoin de ta conscience pour grandir, il a besoin de ton corps et ton corps, c’est toi. Prendre soi de soin, c’est vital, toujours dans la vie mais particulièrement enceinte. Ce n’est pas une coïncidence si on a tendance à se replier sur soi pendant cette période, c’est un réflexe de survie.
Ce n’est pas toujours facile. Et le monde dans lequel on vit ignore souvent ces réalités.
Alors, on cherche où est l’espace pour ne pas constamment lutter contre le courant :
- On favorise les activités qui aident à produire de l’ocytocine : passer du temps avec les personnes aimés, faire des câlins, faire des compliments, caresser un animal, prendre un bain chaud, créer un cocon chaleureux… Et de l’endorphine : rire, faire de l’exercice, la relaxation, manger du chocolat noir, faire l’amour… (Toujours si ça nous fait envie bien sûr !)
- On essaie d’aller dans le sens du courant en accueillant, acceptant ce qui nous traverse : les émotions, les changements. Nos émotions sont la première et la meilleure porte d’entrée sur ce qui vit en nous : besoins, envies, aspirations… Si on a l’impression de perdre le décodeur enceinte, il est plus efficace de mettre l’énergie à comprendre ce que ça nous dit sur nos nouveaux besoins qu’à essayer de restreindre les manifestations.
- Et enfin, on s’entoure. On trouve avec qui, quand, où, on peut baisser la garde, vivre librement ce que l’on ressent, parler, se confier, sans jugement. Ça peut être le partenaire, de la famille, des amis, quelqu’un qui est enceinte en même temps que soi, l’intimité d’un journal intime de grossesse à soi…
Et il y a mon groupe d’exploration émotionnelle prénatale. J’ai créé l’espace que j’aurais voulu avoir. Avec toute la liberté, la flexibilité, la bienveillance possible. C’est en ligne et à prix libre pour être accessible à toutes. Les informations c’est ici.
J’ai envie de finir cet article en disant encore du fond du cœur « prends soin de toi », c’est important, c’est vital…
P.S : rappel tout de même… Non, tu n’es pas anormale non plus si tu es enceinte et que voir des petits chatons ne te fait pas pleurer. Dans les processus émotionnels, il y a beaucoup qui rentrent en compte : ta sensibilité, ton vécu, ton environnement, tes mécanismes de pensées influencent. Et ne pas te sentir vulnérable émotionnellement ne dit rien non plus de ta capacité à être une bonne mère. On ne va pas se trouver des raisons supplémentaires de culpabiliser ! Fais-toi confiance, tu vas sur ton propre chemin.